samedi 22 novembre 2014

mon coeur est capable d'adopter toute forme

 
 
   

 
 
 
Mon coeur est capable
D'accueillir toute forme.
Il est pâturage pour gazelles
Et abbaye pour moines !
Il est un temple pour idoles
et la Kaaba pour qui en fait le tour,
Il est les Tables de la Thora
Et aussi les feuillets du Coran !
Je crois en la religion de l'amour
Où que se dirige ses caravanes
Car l'amour est ma religion et ma foi
 
 
 
Ibn Arabi
لقد صار قلبي قابلا كل صورة
فمرعى لغزلان ودير لرهبان
وبيت لأوثان وكعبة طائف ،
والواح توراة ومصحف قرآن
ادين بدين الحب انى توجهت ركائبه
فالحب ديني وأيماني
ابن عربي
عن قصيدة  ترجمان الاشواق

Dans le Dhammapada, il est recommandé, pour obtenir la délivrance, de secouer la double chaîne du Bien et du Mal. Que le Bien lui-même soit une entrave, nous sommes trop arriérés spirituellement pour pouvoir l'admettre. Aussi ne serons-nous pas délivrés."


Tout s'explique à merveille si on admet que la naissance est un événement néfaste ou tout au moins inopportun ; mais si l'on est d'un autre avis, on doit se résigner à l'inintelligible, ou alors tricher comme tout le monde."


"Si chacun avait ``compris'', l'histoire aurait cessé depuis longtemps. Mais on est foncièrement, on est biologiquement inapte à ``comprendre''. Et si même tous comprenaient, sauf un, l'histoire se perpétuerait à cause de lui, à cause de son aveuglement. A cause d'une seule illusion!"





En règle générale, les hommes attendent la déception : ils savent qu'ils ne doivent pas s'impatienter, qu'elle viendra tôt ou tard, qu'elle leur accordera les délais nécessaires pour qu'ils puissent se livrer à leurs entreprises du moment. Il en va autrement du détrompé : pour lui, elle survient en même temps que l'acte; il n'a pas besoins de la guetter, elle est présente. En s'affranchissant de la succession, il a dévoré le possible, rendu le futur superflu. « Je ne puis vous rencontrer dans votre avenir, dit-il aux autres, Nous n'avons pas un seul instant qui nous soient commun. » C'est que pour lui l'ensemble de l'avenir est déjà là. Lorsqu'on aperçoit la fin dans le commencement, on va plus vite que le temps. L'illumination, déception foudroyante, dispense une certitude qui transforme le détrompé en délivré.




"L'orgasme est un paroxysme; le désespoir aussi. L'un dure un instant; l'autre, une vie. "


"Le même sentiment d'inappartenance, de jeu inutile, où que j'aille : je feins de m'intéresser à ce qui ne m'importe guère, je me trémousse par automatisme ou par charité, sans jamais être dans le coup, sans jamais être quelque part. Ce qui m'attire est ailleurs, et cet ailleurs je ne sais ce qu'il est."



....


"Je voudrais que ma vie soit racontée par des anges heureux à l'ombre d'un saule pleureur. Et chaque fois qu'ils ne comprendraient pas, les branches inclinées éclairciraient leur ignorance par les brises du chagrin..."
 
 
                                                                     Eveil et Lucidité
 
L’éveil est indépendant des capacités intellectuelles : on peut avoir du génie et être un niais spirituellement s’entend. D’un autre côté, on n’est guère plus avancé avec le savoir comme tel. « L’œil de la Connaissance », un illettré peut le posséder, et se trouver ainsi au-dessus de n’importe quel autre savant.
Discerner que ce que vous êtes n’est pas vous, que ce que vous avez n’est pas vôtre, n’être plus complice de rien, même pas de sa propre vie, - c’est cela voir juste, c’est cela descendre jusqu’à la racine nulle de tout. Plus on s’ouvre à la vacuité et plus on s’en imprègne, plus on se soustrait à la fatalité d’être soi, d’être homme, d’être vivant. Si tout est vide, cette triple fatalité le sera aussi.
Du coup, la magie du tragique est entamée. Le héros qui s’effondre vaudrait-il aussi peu que celui qui triomphe ? Rien de plus prestigieux qu’une belle fin, si ce monde est réel ; s’il ne l’est pas, c’est pure niaiserie que de s’extasier sur quelque dénouement que ce soit. Daigner avoir une « destinée », être aveuglé ou seulement tenté par « l’extraordinaire », prouve qu’on demeure fermé à toute vérité supérieure, qu’on est loin de posséder « l’œil » en question. Situer quelqu’un, c’est déterminer son degré d’éveil, les progrès qu’il a accomplis dans la perception de l’illusoire et du faux chez autrui et chez soi. Aucune communion n’est concevable avec celui qui se trompe sur ce qu’il est.
A mesure que s’élargit l’intervalle qui nous sépare de nos actes, nous voyons diminuer les sujets de dialogues et le nombre de nos semblables. Cette solitude ne rend pas amer, car elle ne dérive pas de nos talents mais de nos renoncements. Encore faut-il ajouter qu’elle n’exclut nullement le danger d’orgueil spirituel, qui existe bel et bien aussi longtemps que l’on se penche sur les sacrifices que l’on a consentis et les illusions que l’on a rejetées. Comment se vaincre soi-même à son insu, quand le détachement exige une insistante prise de conscience ? Ainsi, ce qui le rend possible, le menace en même temps. Dans l’ordre des valeurs intérieures, toute supériorité qui ne devient pas impersonnelle tourne à la perdition.
Que ne peut-on s’arracher au monde sans s’en aviser ! On devrait pouvoir oublier que le détachement est un mérite ; sinon, au lieu de délivrer, il empoisonne. Attribuer à Dieu nos réussites de toute espèce, croire que rien n’émane de nous, que tout est donné, ç’est là, suivant Ignace de Loyola, le seul moyen efficace de lutter contre la superbe. La recommandation vaut pour les états fulgurants où l’intervention de la grâce semble de rigueur, mais non pour le détachement, travail de sape, long et pénible, dont le moi est la victime : comment n’en pas tirer vanité ?


(...)

          "La repoussante ubiquité "

« On ne s’adoucit, on ne devient bon qu’en détruisant le meilleur de sa nature, qu’en soumettant son corps à la discipline de l’anémie et son esprit à celle de l’oubli. Tant que l’on garde ne serait-ce qu’une ombre de mémoire, le pardon se ramène à une lutte avec ses instincts, à une agression avec son propre moi. Ce sont nos vilénies qui nous accordent à nous-mêmes, assurent notre continuité, nous relient à notre passé, excitent nos puissances d’évocations ; de même, nous n’avons d’imagination que dans l’attente du malheur des autres, dans les transports de l’écœurement, dans cette disposition qui nous pousse, sinon à commettre des infamies, du moins à les rêver. Comment en serait-il autrement sur une planète où la chair se propage avec l’impudeur d’un fléau ? Où que l’on se dirige, on bute sur de l’humain, repoussante ubiquité devant laquelle on tombe dans la stupeur et la révolte, dans une hébétude en feu. Jadis, lorsque l’espace était moins encombré, moins infesté d’homme, des sectes, indubitablement inspirées par une force bénéfique, préconisaient et pratiquaient la castration ; par un paradoxe infernal, elles se sont effacées au moment même où leur doctrine eût été plus opportune et plus salutaire que jamais. Maniaque de la procréation, bipèdes aux visages démonétisés, nous avons perdu tout attrait les uns pour les autres, et c’est seulement sur une terre à demi déserte, peuplées tout au plus de quelques milliers d’habitants, que nos physionomies pourraient retrouver leur ancien prestige. La multiplication de nos semblables confine à l’immonde ; le devoir de les aimer, au saugrenu. Il n’empêche que toutes nos pensées sont contaminées par la présence de l’humain, qu’elles sentent l’humain, et qu’elles n’arrivent pas à s’en dégager. De quelle vérité seraient-elles susceptibles, à quelle révélation pourraient-elles se hausser, quand cette pestilence asphyxie l’esprit et le rend impropre à considérer autre chose que l’animal pernicieux et fétide dont il subit les émanations ? Celui qui est trop faible pour déclarer la guerre à l’homme ne devrait jamais oublier, dans ses moments de ferveurs, de prier pour l’avènement d’un second déluge, plus radical que le premier. »


 La connaissance ruine l’amour : à mesure que nous pénétrons nos secrets, nous détestons nos semblables, précisément parce qu’ils nous ressemblent. Quand on n’a plus d’illusions sur soi, on n’en garde pas sur autrui ; l’innommable que l’on décèle par introspection, on l’étend, par une généralisation légitime, au reste des mortels ; dépravés dans leur essence, on ne se trompe pas en leur prêtant tous les vices.

Assez curieusement, la plupart d’entre eux se révèlent inaptes ou rétifs à les dépister, à les constater en eux-mêmes ou chez autrui. Il est aisé de faire le mal : tout le monde y arrive ; l’assumer explicitement, en reconnaître l’inexorable réalité, est en revanche un exploit insolite. En pratique, le premier venu peut rivaliser avec le diable ; en théorie, il ne va pas de même. Commettre des horreurs et concevoir « l’horreur » sont des actes irréductibles l’un à l’autre : nul point commun entre le cynisme vécu et le cynisme abstrait. Méfions-nous de ceux qui souscrivent à une philosophie rassurante, qui croient au Bien et l’érigent volontiers en idole, ils n’y seraient pas parvenus si, penchés honnêtement sur eux-mêmes, ils eussent sondé leurs profondeurs ou leurs miasmes ; mais ceux, rares il est vrai, qui ont eu l’indiscrétion ou le malheur de plonger jusqu’au tréfonds de leur être, savent à quoi s’en tenir sur l’homme : ils ne pourront plus l’aimer, car ils ne s’aiment plus eux-mêmes, tout en restant- et ce sera leur châtiment- plus rivés encore à leur moi qu’avant…


Pour que nous puissions conserver la foi en nous et en autrui, et que nous ne percevions pas le caractère illusoire, la nullité de tout acte, quel qu’il soit, la nature nous a rendus opaques à nous-mêmes, sujets à un aveuglement qui enfante le monde et le gouverne. Entreprendrions-nous une enquête exhaustive sur nous-mêmes, que le dégoût nous paralyserait et nous condamnerait à une existence sans rendement. L’incompatibilité entre l’acte et la connaissance de soi semble avoir échappé à Socrate ; sans quoi, en sa qualité de pédagogue, de complice de l’homme, eût-il osé adopter la devise de l’oracle, avec tous les abîmes de renoncement qu’elle suppose et auxquels elle nous convie ?



(...)

A prôner les avantages du travail, les utopies devaient prendre le contre-pied de la Genèse. Sur ce point tout particulièrement, elles sont l’expression d’une humanité engloutie dans le labeur, fière de se complaire aux conséquences de la chute, dont la plus grave demeure l’obsession du rendement. Les stigmates d’une race qui chérit la « sueur du front », qui en fait un signe de noblesse, qui s’agite et peine en exultant, nous les portons avec orgueil et ostentations ; d’où l’horreur que nous inspire, à nous autres réprouvés, l’élu qui refuse de besogner, ou d’exceller dans quelque domaine que ce soit. Le refus dont nous lui faisons grief, en est capable celui-là seul qui conserve le souvenir d’un bonheur immémorial. Dépaysé au milieu de ses semblables, il est comme eux et pourtant il ne peut communier avec eux ; de quelque côté qu’il regarde, il ne se sent pas d’ici ; tout ce qu’il y discerne lui semble usurpation : le fait même de porter un nom…Ses entreprises échouent, il s’y lance sans y croire : des simulacres dont le détourne l’image précise d’un autre monde. L’Homme, une fois évincé du Paradis, pour qu’il n’y songe plus ni n’en souffre, obtint en compensation la faculté de vouloir de tendre de tendre vers l’acte, de s’y abîmer avec enthousiaste, avec brio. Mais pour l’aboulique, dans son détachement, dans son marasme surnaturel, quel effort produire, à quel objet se livrer ? Rien ne l’engage à sortir de son absence. Et cependant lui-même n’échappe pas entièrement à la malédiction commune : il s’épuise dans un regret, et y dépense plus d’énergie que nous n’en fournissons dans tous nos exploits.

                                            Histoire et Utopie - Cioran 1957






12 mars 1960. ; Passé l’après-midi dans un état de nostalgie aigu, nostalgie de tout, de mon pays, de mon enfance, de tout ce que j’ai gâché, de tant d’années inutiles, de tous les jours où je n’ai pas pleuré…La “vie” ne me convient pas. J’étais fait pour une existence de sauvage, pour la solitude absolue, hors du temps, au milieu d’un paradis crépusculaire. J’ai poussé jusqu’au vice la vocation de la tristesse.





7 oct. 1962. ; Dimanche à la campagne. S’allonger et humer la terre. On ne peut se reposer que sur elle. Nos fatigues l’appellent. Et pendant que je la sentais si près de moi, je pensais qu’il n’était pas si horrible de s’y dissoudre. Vraiment nos fatigues l’appellent et la réhabilitent.





7 avril l962 .; Entendu à la radio de la musique tzigane hongroise. Des années depuis que je n’en ai plus entendu. Vulgarité déchirante. Souvenirs de beuveries en Transylvanie. L’immense ennui qui me poussait à boire avec n’importe qui. Au fond je suis un ”sentimental”, comme tous les types de l’Europe centrale.





Insomnie à la campagne. Une fois, vers 5 heures du matin, je me suis levé pour contempler le jardin. Vision d’Eden, lumière surnaturelle. Au loin, quatre peupliers s’étiraient vers Dieu.





2 janvier1966. ; Hier soir dans le métro, une grosse maquerelle immonde, parlant mal le français avec un accent sud-américain, caressait la main d’un jeune homme fluet, également étranger, son mignon sans doute, un Arabe vraisemblablement. Le spectacle était si horrible qu’on a du mal à s’en remettre. Je ne connais aucun animal qui puisse m’inspirer une répulsion pareille. Cette affreuse pouffiasse m’a littéralement rendu malade. Il n’est pas admissible que l’être humain puisse prendre des apparences semblables.





On ne peut supporter ce monde qu’en état d’ébriété. Encore faudrait-il que cet état durât vingt quatre heures sur vingt quatre. Mais même alors tout ne serait pas résolu, la pire lucidité, la plus destructrice en tout cas, étant celle qui surgit dans les interstices de l’ébriété précisément -lucidité fulgurante- comme une entaille de l’esprit.





11 fevr.l966.; Déjeuner avec des roumains. Soûlographie. J’ai bu la valeur d’une bouteille de bordeaux. Impossibilité de maintenir le contrôle de mon cerveau. J’ai déconné pendant des heures. Que tout cela est stupide!





Les hommes se partagent en deux catégories : ceux qui cherchent le sens de la vie sans le trouver et ceux qui l’ont trouvé sans le chercher.





Ce qu’il est difficile de comprendre, ce sont les natures fécondes, généreuses, toujours contentes de s’affairer, de produire. Leur énergie paraît démesurée, et cependant on n’arrive pas à la leur envier. Elles peuvent être n’importe quoi, parce qu’au fond elles ne sont rien : des fantoches dynamiques, des nullités aux dons inépuisables.




qui me dira