jeudi 3 septembre 2020
vendredi 13 juillet 2018
mercredi 11 juillet 2018
La conversation dure deux heures. Après qu'on a épuisé les nouvelles du monde philosophique et littéraire, Schopenhauer parle des visites qu'il reçoit, ou qu'il refuse,et de la singulière idée qu'on se fait quelquefois de sa personne depuis que le grand public s'occupe de lui. Il ne tarit pas de verve, et il peint tout ce qu'il raconte.« II me cita, continue Baehr, comme exemple des jugements baroques qu'on portait sur lui, une tirade d'un écrivain français, qui, parlant du séjour de Schopenhauer en Italie, dans un temps où lui-même était encore au berceau, s'exprimait à peu près ainsi : il jouissait des beautés de la nature italienne, envisageait les monuments de l’antiquité, mais il repoussait les hommes et regardait les femmes avec mépris *.A ces mots, Schopenhauer se renversa sur son canapé en riant aux éclats, et à ce moment il me parut tout à fait jeune.
« Moi repousser les hommes ! s'écria-t-il.
Mais songez donc que j'avais trente ans,
et que la vie me souriait. Et quant aux femmes,
si seulement elles avaient voulu de moi ! »
jeudi 24 novembre 2016
mardi 15 mars 2016
....Une Vie Ordinaire...
mercredi 24 février 2016
dimanche 26 avril 2015
Cioran à propos de Nietsche
À un étudiant qui voulait savoir où j’en étais par rapport à l’auteur de Zarathoustra, je répondis que j’avais cessé de le pratiquer depuis longtemps. Pourquoi me demanda-t-il. – Parce que je le trouve trop naïf...
Je lui reproche ses emballements et jusqu’à ses ferveurs. Il n’a démoli des idoles que pour les remplacer par d’autres. Un faux iconoclaste, avec des côtés d’adolescent, et je ne sais quelle virginité, quelle innocence inhérentes à sa carrière de solitaire. Il n’a observé les hommes que de loin. Les aurait-il regardés de près, jamais il n’eût pu concevoir ni prôner le surhomme, vision farfelue, risible, sinon grotesque, chimère ou lubie qui ne pouvait surgir que dans l’esprit de quelqu’un qui n’avait pas eu le temps de connaître le détachement, le long dégoût serein.
Nous avions cru avec Nietzsche à la pérennité des transes ; grâce à la maturité de notre cynisme nous sommes allés plus loin que lui. L’idée de surhomme ne nous paraît plus qu’une élucubration ; elle nous semblait aussi exacte qu’une donnée d’expérience. Ainsi l’enchanteur de notre jeunesse s’efface. Mais qui de lui – s’il fut plusieurs – demeure encore ? C’est l’expert en déchéances, le psychologue, psychologue agressif, point seulement observateur comme les moralistes. Il scrute en ennemi et il se crée des ennemis. Mais ses ennemis il les tire de soi, comme les vices qu’il dénonce. S’acharne-t-il contre les faibles ? Il fait de l’introspection ; et quand il attaque la décadence, il décrit son état. Toutes ses haines se portent indirectement contre lui-même. Ses défaillances, il les proclame et les érige en idéal ; s’il s’exècre, le christianisme ou le socialisme en pâtit. Son diagnostic du nihilisme est irréfutable : c’est qu’il est lui-même nihiliste, et qu’il l’avoue. Pamphlétaire amoureux de ses adversaires, il n’aurait pu se supporter s’il n’avait combattu avec soi, contre soi, s’il n’avait placé ses misères ailleurs, dans les autres : il s’est vengé sur eux de ce qu’il était. Ayant pratiqué la psychologie en héros, il propose aux passionnés d’Inextricable une diversité d’impasses. Nous mesurons sa fécondité aux possibilités qu’il nous offre de le renier continuellement sans l’épuiser. Esprit nomade il s’entend à varier ses déséquilibres. Sur toutes choses, il a soutenu le pour et le contre : c’est là le procédé de ceux qui s’adonnent à la spéculation faute de pouvoir écrire des tragédies, de s’éparpiller en de multiples destins. – Toujours est-il qu’en étalant ses hystéries, Nietzsche nous a débarrassés de la pudeur des nôtres ; ses misères nous furent salutaires. Il a ouvert l’âge des « complexes »
samedi 21 mars 2015
du pur amour...
Du pur Amour...sagesses....
Du pur amour
Dieu a dit à l’un de ses Serviteurs :
« Prétends-tu m’aimer ? Si tel est le cas, sache que ton amour pour Moi est seulement une conséquence de Mon amour pour toi.
Tu aimes Celui qui est. Mais Je t’ai aimé, Moi, alors que tu n’étais pas ! »
Il lui dit ensuite : « Prétends-tu que tu cherches à t’approcher de Moi, et à te perdre en Moi ? Mais Je te cherche, Moi, bien plus que tu Me cherches ! Je t’ai cherché afin que tu sois en Ma présence, sans nul intermédiaire, le Jour où j’ai dit « ne suis-je pas votre seigneur ? » (Coran 7 :172), alors que tu n’étais qu’esprit (rûh). Puis tu M’as oublié, et Je t’ai cherché de nouveau, en envoyant vers toi Mes envoyés, lorsque tu as eu un corps. Tout cela était amour de toi pour toi et non pour Moi. »
Il lui dit encore : « Que penses-tu que tu ferais, si, alors que tu te trouvais dans un état extrême de faim, de soif, et d’épuisement, Je t’appelais à Moi tout en t’offrant Mon paradis avec ses houris, ses palais, ses fleuves, ses fruits, ses pages, ses échansons, après t’avoir prévenu qu’auprès de Moi tu ne trouverais rien de tout cela ? »
Le serviteur répondit : « Je me réfugierais en Toi contre Toi. »
Emir Abd el-Kader, le livre des Haltes.
Abba Antoine
Il y avait dans le désert un chasseur de bêtes sauvages qui vit Abba Antoine se récréant avec des frères. Il s'en scandalisa. Voulant le convaincre qu'il fallait de temps en temps condescendre aux frères, le vieillard lui dit : « Mets une flèche à ton arc, et bande-le. » Il fit ainsi. Le vieillard reprit : « Bande-le un peu plus », et le chasseur le fit. Le vieillard lui dit encore : « Continue à le bander. » le chasseur répondit : « Si je bande mon arc au-delà de la mesure, je vais le casser. » le vieillard lui dit alors : « Il en va de même dans l'œuvre du Seigneur ; si nous tendons les frères outre mesure, ils seront bientôt brisés. Il faut donc de temps en temps condescendre à leurs besoins. » Entendant ces paroles, le chasseur fut pénétré de componction. Grandement édifié par le vieillard, il partit. Quant aux frères, ils retournèrent chez eux fortifiés.
Des vieillards, parmi lesquels se trouvait Abba Joseph, vinrent un jour chez Abba Antoine. Voulant les éprouver, le vieillard proposa un mot de l'Écriture et, commençant par les plus jeunes, il leur demanda ce que signifiait ce mot. Et chacun parlait selon qu'il en était capable. Mais à chacun, le vieillard dit : « Tu n'a pas trouvé » Le dernier de tous, il dit à Abba Joseph : « Toi, comment expliques-tu cette parole ? » Il répondit : « Je ne sais pas ». Alors Abba Antoine dit : « Vraiment, Abba Joseph a trouvé la voie, car il a dit : Je ne sais pas. »....
.. ..Abba Pambo interrogea Abba Antoine : « Que dois-je faire ? » Le vieillard lui dit : « Ne te confie pas dans ta justice, ne t'afflige pas du passé, mais deviens maître de ta langue et de ton ventre. »....
Abba Antoine dit : « Je vis tous les filets de l'ennemi déployés sur la terre, et je dis en gémissant : Qui donc passe outre ces pièges ? Et j'entendis une voix me répondre : l'humilité.»
Abba Agathon....
A propos d'Abba Agathon, on disait que des gens vinrent le trouver ayant entendu parler de son grand discernement. Voulant éprouver s'il se mettait en colère, ils lui dirent : « Est-ce toi cet Agathon que l'on dit être fornicateur et orgueilleux ? » « Oui, c'est bien vrai », répondit-il. Ils reprirent : « Es-tu cet Agathon qui raconte sans cesse des niaiseries et parle mal d'autrui ? » - « C'est moi. » Ils dirent encore : « Est-ce toi Agathon l'hérétique ? » Mais lui, il répondit : « Je ne suis pas hérétique. » Ils lui demandèrent alors : « Dis-nous pourquoi tu as accepté tout ce dont nous t'accablions, mais tu as refusé ce dernier grief. » Il répondit : « Les premières accusation, je me les fais à moi-même, car cela est utile à mon âme. Mais l'hérésie c'est la séparation de Dieu. Or je ne veux pas être séparé de Dieu. » A ces mots, ils admirèrent son discernement et s'en retournèrent édifiés.....
Abba Isidore....
Un frère lui demanda : « Pourquoi les démons ont-ils si peur de toi ? » le vieillard lui dit : « Parce que, depuis le jour où je suis devenu moine, je m'entraîne à ne pas permettre à la colère de monter jusqu'à ma bouche. »....
« Quelle chimère est-ce donc que l'homme ! Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre; dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur; gloire et rebut de l'univers. »
Pascal
"Il se peut que Dieu t'ouvre la porte de l'obéissance sans t'avoir ouvert celle de Son agrément, mais il se peut également qu'Il détermine un péché de ta part, et que celui-ci soit la cause de ton arrivée à Lui."(...)
Quand Dieu délie ta langue en t'inspirant de le prier sache qu'Il veut t'exaucer."
ibn atta Allah al Iskandari
samedi 22 novembre 2014
mon coeur est capable d'adopter toute forme
Mon coeur est capable
D'accueillir toute forme.
Il est pâturage pour gazelles
Et abbaye pour moines !
Il est un temple pour idoles
et la Kaaba pour qui en fait le tour,
Il est les Tables de la Thora
Et aussi les feuillets du Coran !
Je crois en la religion de l'amour
Où que se dirige ses caravanes
Car l'amour est ma religion et ma foi
Ibn Arabi
|
لقد صار قلبي قابلا كل صورة
فمرعى لغزلان ودير لرهبان
وبيت لأوثان وكعبة طائف ،
والواح توراة ومصحف قرآن
ادين بدين الحب انى توجهت ركائبه
فالحب ديني وأيماني
ابن عربي
عن قصيدة ترجمان الاشواق |
En règle générale, les hommes attendent la déception : ils savent qu'ils ne doivent pas s'impatienter, qu'elle viendra tôt ou tard, qu'elle leur accordera les délais nécessaires pour qu'ils puissent se livrer à leurs entreprises du moment. Il en va autrement du détrompé : pour lui, elle survient en même temps que l'acte; il n'a pas besoins de la guetter, elle est présente. En s'affranchissant de la succession, il a dévoré le possible, rendu le futur superflu. « Je ne puis vous rencontrer dans votre avenir, dit-il aux autres, Nous n'avons pas un seul instant qui nous soient commun. » C'est que pour lui l'ensemble de l'avenir est déjà là. Lorsqu'on aperçoit la fin dans le commencement, on va plus vite que le temps. L'illumination, déception foudroyante, dispense une certitude qui transforme le détrompé en délivré.
"L'orgasme est un paroxysme; le désespoir aussi. L'un dure un instant; l'autre, une vie. "
"Le même sentiment d'inappartenance, de jeu inutile, où que j'aille : je feins de m'intéresser à ce qui ne m'importe guère, je me trémousse par automatisme ou par charité, sans jamais être dans le coup, sans jamais être quelque part. Ce qui m'attire est ailleurs, et cet ailleurs je ne sais ce qu'il est."
....
"Je voudrais que ma vie soit racontée par des anges heureux à l'ombre d'un saule pleureur. Et chaque fois qu'ils ne comprendraient pas, les branches inclinées éclairciraient leur ignorance par les brises du chagrin..."
Discerner que ce que vous êtes n’est pas vous, que ce que vous avez n’est pas vôtre, n’être plus complice de rien, même pas de sa propre vie, - c’est cela voir juste, c’est cela descendre jusqu’à la racine nulle de tout. Plus on s’ouvre à la vacuité et plus on s’en imprègne, plus on se soustrait à la fatalité d’être soi, d’être homme, d’être vivant. Si tout est vide, cette triple fatalité le sera aussi.
Du coup, la magie du tragique est entamée. Le héros qui s’effondre vaudrait-il aussi peu que celui qui triomphe ? Rien de plus prestigieux qu’une belle fin, si ce monde est réel ; s’il ne l’est pas, c’est pure niaiserie que de s’extasier sur quelque dénouement que ce soit. Daigner avoir une « destinée », être aveuglé ou seulement tenté par « l’extraordinaire », prouve qu’on demeure fermé à toute vérité supérieure, qu’on est loin de posséder « l’œil » en question. Situer quelqu’un, c’est déterminer son degré d’éveil, les progrès qu’il a accomplis dans la perception de l’illusoire et du faux chez autrui et chez soi. Aucune communion n’est concevable avec celui qui se trompe sur ce qu’il est.
A mesure que s’élargit l’intervalle qui nous sépare de nos actes, nous voyons diminuer les sujets de dialogues et le nombre de nos semblables. Cette solitude ne rend pas amer, car elle ne dérive pas de nos talents mais de nos renoncements. Encore faut-il ajouter qu’elle n’exclut nullement le danger d’orgueil spirituel, qui existe bel et bien aussi longtemps que l’on se penche sur les sacrifices que l’on a consentis et les illusions que l’on a rejetées. Comment se vaincre soi-même à son insu, quand le détachement exige une insistante prise de conscience ? Ainsi, ce qui le rend possible, le menace en même temps. Dans l’ordre des valeurs intérieures, toute supériorité qui ne devient pas impersonnelle tourne à la perdition.
Que ne peut-on s’arracher au monde sans s’en aviser ! On devrait pouvoir oublier que le détachement est un mérite ; sinon, au lieu de délivrer, il empoisonne. Attribuer à Dieu nos réussites de toute espèce, croire que rien n’émane de nous, que tout est donné, ç’est là, suivant Ignace de Loyola, le seul moyen efficace de lutter contre la superbe. La recommandation vaut pour les états fulgurants où l’intervention de la grâce semble de rigueur, mais non pour le détachement, travail de sape, long et pénible, dont le moi est la victime : comment n’en pas tirer vanité ?
(...)
Assez curieusement, la plupart d’entre eux se révèlent inaptes ou rétifs à les dépister, à les constater en eux-mêmes ou chez autrui. Il est aisé de faire le mal : tout le monde y arrive ; l’assumer explicitement, en reconnaître l’inexorable réalité, est en revanche un exploit insolite. En pratique, le premier venu peut rivaliser avec le diable ; en théorie, il ne va pas de même. Commettre des horreurs et concevoir « l’horreur » sont des actes irréductibles l’un à l’autre : nul point commun entre le cynisme vécu et le cynisme abstrait. Méfions-nous de ceux qui souscrivent à une philosophie rassurante, qui croient au Bien et l’érigent volontiers en idole, ils n’y seraient pas parvenus si, penchés honnêtement sur eux-mêmes, ils eussent sondé leurs profondeurs ou leurs miasmes ; mais ceux, rares il est vrai, qui ont eu l’indiscrétion ou le malheur de plonger jusqu’au tréfonds de leur être, savent à quoi s’en tenir sur l’homme : ils ne pourront plus l’aimer, car ils ne s’aiment plus eux-mêmes, tout en restant- et ce sera leur châtiment- plus rivés encore à leur moi qu’avant…
Pour que nous puissions conserver la foi en nous et en autrui, et que nous ne percevions pas le caractère illusoire, la nullité de tout acte, quel qu’il soit, la nature nous a rendus opaques à nous-mêmes, sujets à un aveuglement qui enfante le monde et le gouverne. Entreprendrions-nous une enquête exhaustive sur nous-mêmes, que le dégoût nous paralyserait et nous condamnerait à une existence sans rendement. L’incompatibilité entre l’acte et la connaissance de soi semble avoir échappé à Socrate ; sans quoi, en sa qualité de pédagogue, de complice de l’homme, eût-il osé adopter la devise de l’oracle, avec tous les abîmes de renoncement qu’elle suppose et auxquels elle nous convie ?
(...)
A prôner les avantages du travail, les utopies devaient prendre le contre-pied de la Genèse. Sur ce point tout particulièrement, elles sont l’expression d’une humanité engloutie dans le labeur, fière de se complaire aux conséquences de la chute, dont la plus grave demeure l’obsession du rendement. Les stigmates d’une race qui chérit la « sueur du front », qui en fait un signe de noblesse, qui s’agite et peine en exultant, nous les portons avec orgueil et ostentations ; d’où l’horreur que nous inspire, à nous autres réprouvés, l’élu qui refuse de besogner, ou d’exceller dans quelque domaine que ce soit. Le refus dont nous lui faisons grief, en est capable celui-là seul qui conserve le souvenir d’un bonheur immémorial. Dépaysé au milieu de ses semblables, il est comme eux et pourtant il ne peut communier avec eux ; de quelque côté qu’il regarde, il ne se sent pas d’ici ; tout ce qu’il y discerne lui semble usurpation : le fait même de porter un nom…Ses entreprises échouent, il s’y lance sans y croire : des simulacres dont le détourne l’image précise d’un autre monde. L’Homme, une fois évincé du Paradis, pour qu’il n’y songe plus ni n’en souffre, obtint en compensation la faculté de vouloir de tendre de tendre vers l’acte, de s’y abîmer avec enthousiaste, avec brio. Mais pour l’aboulique, dans son détachement, dans son marasme surnaturel, quel effort produire, à quel objet se livrer ? Rien ne l’engage à sortir de son absence. Et cependant lui-même n’échappe pas entièrement à la malédiction commune : il s’épuise dans un regret, et y dépense plus d’énergie que nous n’en fournissons dans tous nos exploits.
Histoire et Utopie - Cioran 1957
12 mars 1960. ; Passé l’après-midi dans un état de nostalgie aigu, nostalgie de tout, de mon pays, de mon enfance, de tout ce que j’ai gâché, de tant d’années inutiles, de tous les jours où je n’ai pas pleuré…La “vie” ne me convient pas. J’étais fait pour une existence de sauvage, pour la solitude absolue, hors du temps, au milieu d’un paradis crépusculaire. J’ai poussé jusqu’au vice la vocation de la tristesse.
7 oct. 1962. ; Dimanche à la campagne. S’allonger et humer la terre. On ne peut se reposer que sur elle. Nos fatigues l’appellent. Et pendant que je la sentais si près de moi, je pensais qu’il n’était pas si horrible de s’y dissoudre. Vraiment nos fatigues l’appellent et la réhabilitent.
7 avril l962 .; Entendu à la radio de la musique tzigane hongroise. Des années depuis que je n’en ai plus entendu. Vulgarité déchirante. Souvenirs de beuveries en Transylvanie. L’immense ennui qui me poussait à boire avec n’importe qui. Au fond je suis un ”sentimental”, comme tous les types de l’Europe centrale.
Insomnie à la campagne. Une fois, vers 5 heures du matin, je me suis levé pour contempler le jardin. Vision d’Eden, lumière surnaturelle. Au loin, quatre peupliers s’étiraient vers Dieu.
2 janvier1966. ; Hier soir dans le métro, une grosse maquerelle immonde, parlant mal le français avec un accent sud-américain, caressait la main d’un jeune homme fluet, également étranger, son mignon sans doute, un Arabe vraisemblablement. Le spectacle était si horrible qu’on a du mal à s’en remettre. Je ne connais aucun animal qui puisse m’inspirer une répulsion pareille. Cette affreuse pouffiasse m’a littéralement rendu malade. Il n’est pas admissible que l’être humain puisse prendre des apparences semblables.
On ne peut supporter ce monde qu’en état d’ébriété. Encore faudrait-il que cet état durât vingt quatre heures sur vingt quatre. Mais même alors tout ne serait pas résolu, la pire lucidité, la plus destructrice en tout cas, étant celle qui surgit dans les interstices de l’ébriété précisément -lucidité fulgurante- comme une entaille de l’esprit.
11 fevr.l966.; Déjeuner avec des roumains. Soûlographie. J’ai bu la valeur d’une bouteille de bordeaux. Impossibilité de maintenir le contrôle de mon cerveau. J’ai déconné pendant des heures. Que tout cela est stupide!
Les hommes se partagent en deux catégories : ceux qui cherchent le sens de la vie sans le trouver et ceux qui l’ont trouvé sans le chercher.
Ce qu’il est difficile de comprendre, ce sont les natures fécondes, généreuses, toujours contentes de s’affairer, de produire. Leur énergie paraît démesurée, et cependant on n’arrive pas à la leur envier. Elles peuvent être n’importe quoi, parce qu’au fond elles ne sont rien : des fantoches dynamiques, des nullités aux dons inépuisables.
jeudi 19 novembre 2009
AVEUX et ANATHEMES
Par
Emil Cioran
« L’homme est libre, sauf en ce qu’il a de profond. A la surface, il fait ce qu’il veut ; dans ses couches obscures, « volonté » est vocable dépourvu de sens. »
Je songe en ce moment à quelqu’un que j’admirais sans réserve, qui n’a tenu aucune de ses promesses et qui, pour avoir déçu tous ceux qui avaient cru en lui, est mort on ne peut plus satisfait.
Il existe, ç’est entendu, une mélancolie clinique, sur laquelle les remèdes agissent parfois ; il en existe une autre, sous-jacente à nos explosions de gaieté elles-mêmes, et qui nous accompagne partout, sans nous laisser seul à aucun moment. Cette maléfique omniprésence, rien ne nous permet de nous en délivrer : elle est notre moi à jamais face à lui-même.
……..
A ce très vieil ami qui m’annonce sa décision de mettre fin à ses jours, je réponds qu’il ne fallait pas trop se presser, que la dernière partie du jeu ne manque pas complètement d’attrait et qu’on peut s’arranger même avec l’Intolérable, à condition de ne jamais oublier que tout est bluff, bluff générateur de supplices…
« Dieu n’a rien créé qui lui soit plus odieux que ce monde et, du jour où il l’a créé, il ne l’a plus regardé, tant il le hait. »
Le mystique musulman qui a écrit cela, je ne sais qui il était, j’ignorerai toujours le nom de cet ami.
……..
Je tombe sur X. J’aurais donné tout au monde pour ne plus jamais le rencontrer. Devoir subir de tels spécimens ! Pendant qu’il parlait, j’étais inconsolable de ne pas disposer d’un pouvoir surnaturel qui nous annihilerait sur-le-champ tous les deux.
L’aversion pour tout ce qui humain est compatible avec la pitié, je dirais même que ces réactions sont solidaires mais non simultanées. Celui-là seul qui connaît la première est capable d’éprouver intensément la seconde.
Quand on est sorti du cercle d’erreurs et d’illusions à l’intérieur duquel se déroulent les actes, prendre position est une quasi-impossibilité.
Il faut un minimum de niaiserie pour tout, pour affirmer comme pour nier.
Ces instants où il suffit d’un souvenir ou de moins encore,
pour glisser hors du monde.
« Quand l’oiseau du sommeil pensa faire son nid dans ma pupille, il vit les cils et s’effraya du filet. »
Qui mieux que ce Ben al-Hamara, poète arabe d’Andalousie, a perçu l’insondable de l’insomnie ?
Se débarrasser de la vie, c’est se priver du bonheur de s’en moquer.
Unique réponse possible à quelqu’un qui vous annonce son intention d’en finir.
Du vrai, nulle part ; partout des simulacres, dont on ne devrait rien attendre. Pourquoi ajouter alors à une déception initiale toutes celles qui viennent et qui la confirment avec une régularité diabolique jour après jour ?
Pratiquer les Père du Désert et cependant se laisser émouvoir par les dernières nouvelles !
Aux premiers siècles de notre ère, j’aurais fait partie de ces ermites dont il est dit qu’au bout d’un certain temps ils étaient « fatigués de chercher Dieu ».
Pour entrevoir l’essentiel, il ne faut exercer aucun métier. Rester toute la journée allongé, et gémir….
Étang de Soustons, deux heures de l’après-midi. Je ramais. Tout à coup, foudroyé par une réminiscence de vocabulaire : « All is of no avail » (rien ne sert à rien). Si j’avais été seul, je me serais jeté instantanément à l’eau. Jamais je n’ai ressenti avec une telle violence le besoin de mettre un terme à tout ça.
X., qui a tout raté, se plaignait devant moi de n’avoir pas de destin.
–Mais si, mais si. La suite de vos échecs est si remarquable qu’elle parait trahir un dessein providentiel.
La femme comptait aussi longtemps quelle simulait la pudeur et la réserve. De quelle déficience elle fait preuve en cessant de jouer le jeu ! Déjà elle ne vaut plus rien, puisqu‘elle nous ressemble. C’est ainsi que disparaît un des derniers mensonges qui rendaient l’existence tolérable.
Si je préfère les femmes aux hommes, ç’est parce qu’elles ont sur eux l’avantage d’être plus déséquilibrées, donc plus compliquées, plus perspicaces et plus cyniques, sans compter cette supériorité mystérieuse que confère un esclavage millénaire.
**********
« Je suis un lâche, je ne puis supporter la souffrance d’être heureux ».
Pour pénétrer quelqu’un, pour le « connaître » vraiment, il me suffit de voir comment il réagi à cet aveux de Keats.
S’il ne comprend pas tout de suite, inutile de continuer.
**********
Personne n’avait autant que lui le sens du jeu universel. Chaque fois que j’y faisais allusion, il me citait, avec un sourire complice, le mot sanscrit « lîlâ », absolue gratuité selon le Védânta, création du monde par divertissement divin. Avons-nous ri ensemble de tout ! Et maintenant, lui, le plus jovial des détrompés, le voilà jeté dans ce trou par sa faute, puisqu’il aura daigné, pour une fois, prendre le néant au sérieux.
J’aimerais tout oublier et me réveiller face à la lumière d’avant les instants.
Étapes...ou la délivrance de l'erreur
Quoiqu’il en soit, et d’une façon générale : à la question de savoir si le genre humain est effectivement intelligent, on est en droit de répondre par la négative, en bonne conscience, puisque nous nous trouvons dans l’âge de fer. Somme toute, ne sont concrètement intelligents que les sages et les saints ; on voit en eux des surhommes - avec raison à un certain point de vue - alors que, étant réalistes, ils sont simplement des hommes normaux; ou des hommes primordiaux, si nous pensons aux conditions spirituelles de l’âge d’or. Cela nous permet de formuler, d’une manière synthétique et quasi lapidaire, les considérations suivantes : l’homme primordial savait par lui-même qu’il y a Dieu; l’homme déchu ne le sait pas, il doit l’apprendre. L’homme primordial avait toujours conscience de Dieu; l’homme déchu, tout en ayant appris qu’il y a Dieu, doit se forcer à en avoir toujours conscience. L’homme primordial aimait Dieu plus que le monde; l’homme déchu aime le monde plus que Dieu, il doit donc pratiquer le renoncement. L’homme primordial voyait Dieu partout, il avait le sens des archétypes et des essences et n’était pas enfermé dans l’alternative « chair ou esprit » ; l’homme déchu ne voit Dieu nulle part, il ne voit que le monde en tant que tel, non comme manifestation de Dieu. La primordialité, c’est la fitrah des soufis : la nature humaine essentielle et normative, créée à l’image du Créateur; et c’est par là même l’intelligence en soi, projection de la conscience divine. Car « J’étais un trésor caché et je voulais être connu, donc J’ai créé le monde»; et avec lui l’esprit humain.
Frithjof Schuon in « Racines de la condition Humaine »